vendredi 23 novembre 2012

The Cure - Pornography


THE CURE - PRONOGRAPHY (1982)


Disque maladif, vague froide dégénérée en pulsion suicidaire, pour un « mouvement » qui trouva là une incarnation parfaite qu’on nomma alors « Cold Wave ». Conclusion, aussi, de la « trilogie glaciale » formée dans les premiers temps par « Seventeen seconds », et le blafard « Faith ». Fin d’une époque, aussi. Tout ce que représente « Pornography », disque charnière à la fois pour Cure et pour le Post-Punk, est colossal.

Sortis du Punk depuis quelques années (« Three imaginary boys », un premier disque bien rêche), le trio culte devient sur « Pornography » un groupe majeur, celui qui concentra sur ses seules épaules et en l’espace de quarante minutes le malaise adolescent, et la mort programmée de la Pop. C’était trop attendre du collectif. Cette Pop, Cure allait l’apprivoiser dès 1985 sur « The head on the door », pour le plus grand malheur de tous ceux qui crurent un instant à l’éternité de l’adolescence meurtrie, qui avaient pensé être « compris ». Si certains trouvèrent le réflexe putassier, Smith y vit sans doute quelque chose de salvateur. Il ne voulait peut-être plus affronter ses peurs, trop dur : il lui fallait peut-être vieillir, panser les blessures, et la Pop allait le sauver du malheur. Ses blessures, elles, ne saigneraient plus guère jusqu’au ténébreux « Disintegration », vers 1989.

1982 est une année pourrie. Robert Smith s’assume mal, expurge un malaise profond. En studio, Cure est camé, incapable de transcrire autre chose que la peur, l’horreur. Phil Thornally, derrière les manettes, a dû s’arracher les cheveux. « Pornography » est un disque de mort, l’illustration d’une obsession morbide. Il jaillit des entrailles de la perdition de Smith, et génère une esthétique musicale inédite, une magie plastique que Cure ne toucha qu’une fois et qui hanta pour toujours les esprits qui s’y retrouvèrent. Guitares minimales, figées dans la magma des basses dures, sourdes et énormes de Simon Gallup, devenu complément indispensable et contrepoids stylistique : au « leader » les guitares du désespoir, à Gallup les basses de l’hypnose. Derrière, Lol Tolhurst charcute la rythmique en une transe minimale, tribale. Il ne sait pas vraiment jouer, mais COGNE. C’est en partie ce qui fera le « son Cure », dont la dichotomie devenue impossible (sinon barbare) laissera plus tard place à un groupe plus aiguisé instrumentalement mais émotionnellement instable, voire incohérent sur certains disques.
Sur tous les plans (son, production, choix artistiques), « Pornography » touche quelque chose d’essentiel, d’extrême. Les flangers rendent les guitares indescriptibles, criminelles. La batterie sonne électronique. Dans l’Horreur mise en musique, le disque atteint une forme de perfection. Alternative par l’ultime, dernier cri : le disque est implacable, sa froideur fait écho aux cruautés de l’Industriel. Il faut être masochiste pour écouter ce disque, il faut ne pas vouloir se relever. 
Le groupe a accouché en 1982 d’un monstre noir, quelque chose d’informe et d’incroyablement froid, mécanique, impitoyable. « It doesn’t matter if we all die » : c’est comme cela que commençait l’histoire. La voix de Smith cherchait toujours la lumière, se perdait dans les ténèbres. Le nihilisme de « One hundred years » (« You mean nothing », pleure Smith) annonça l’apparition cauchemardesque de l’araignée, reprise en berceuse amère sur le single « Lullaby » sept ans plus tard. « Pornography » n’allait donc pas évacuer tous les phantasmes de Smith, mais poser les bases intangibles de la réputation dépressive de son écriture. Il allait projeter The Cure dans une symbolique négative que ce denier tâchera de défaire ardemment cinq ans durant, connaissant le succès commercial sans se libérer complètement du référent « gothique », galvaudé ou non.
Le précédent créé par « Pornography » a vraiment hanté toute la carrière de Cure. Dans sa production, comme dans son vécu de groupe de scène. Qui ne s’est pas réjoui en entendant de nouveau les rugueuses basses si parfaites de Gallup ramper sur « Disintegration », ronronner sur les phases sombres de « Wish » (1992) ? En concert, alors que le groupe égrène les perles pop, on se prend toujours à rêver d’un « Siamese twins » ou d’un « Hanging garden ». Prières exaucées sur la tournée 2000, où Cure fera le lien entre « Pornography », « Disintegration » et « Bloodflowers ». Une autre trilogie, une autre époque aussi. Smith a trente neuf ans lorsqu’il compose « Bloodflowers », et sa colère a muté vers quelque chose tenant davantage de la mélancolie. Il s’est assagi, son autodestruction appartient définitivement à 1982.

Robert Smith a peut-être perdu une partie de lui en jetant son intimité à la face du monde à cette époque précise. Il avouera plus tard avoir cru qu’il se relèverait jamais du disque. La plus grande des « pornographies » commise n’était-elle pas de dénuder son âme, de jeter à la face du monde son atroce souffrance ? Smith n’a t’il pas payé cette perte de contrôle, face à une société pour laquelle il y a obligation de cacher ? N’a-t’il pas en même temps figé la perception collective de son être, alors que son esprit allait vagabonder sous des cieux moins austères ? Les disques qui suivront, c’est certain, ne retrouveront pas automatiquement la flamme. Et ce n’est pas « Bloodflowers » et son acoustique passagère qui nous feront croire au retour des ténèbres, encore moins au retour de flamme. Sur son dernier disque, Cure est redevenu simplement un « beau » groupe, alors qu’il fut sublime à plusieurs reprises, jusqu’en 1992. Les ténèbres s’annoncent davantage sur le prochain album, prévu pour 2004… du moins selon les annonces de Robert.
« A prayer for something better », clame Smith sur « Pornography ». On voudrait pouvoir y croire, Robert. On t’a vu sur scène il y a quatre ans. Et on y croit encore, plus que jamais. Notre adolescence est éternelle. (Emmanuël).




TRACKLIST :
A1One Hundred Years6:42
A2A Short Term Effect4:25
A3The Hanging Garden4:32
A4Siamese Twins5:35
B1The Figurehead6:15
B2A Strange Day5:06
B3Cold4:26
B4Pornography6:28


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