jeudi 5 avril 2018

The Cranberries - No Need To Argue




The Cranberries ‎– No Need To Argue
Plain Recordings ‎– plain202 – Reissue, 180 Gram, Gatefold – Edition U.S.A.


The Cranberries est certainement un des groupes qui ont le plus marqué la pop et le rock du début des années 90. Leur premier opus, Everybody Else Is Doing It, So Why Can’t We ? les a propulsés au sommet des charts en Europe et aux Etats-Unis en l’espace de quelques mois seulement. Tout cela grâce à MTV l’omniprésente chaîne musicale, si influente sur les tendances à l’époque. Alors quand vient l’heure de rempiler pour un deuxième album, on peut douter de la capacité d’un si jeune groupe à transformer l’essai, surtout à un an d’intervalle. No Need To Argue est pourtant un album différent mais réussi, plus intimiste mais aussi plus professionnel, avec une véritable mise en avant de Dolores O’Riordan, la chanteuse du groupe.

Le groupe table ici sur l’efficacité des mélodies et sur la sobriété de l’instrumentation. La guitare de Noel Hogan est omniprésente tandis que la batterie de Feargal Lawler et la basse de Mike Hogan se font plus discrètes. L’album débute en toute logique par une rafale de tubes qui n’ont cependant rien de dansant. En effet, le maître mot de No Need To Argue est la mélancolie, véritable fil directeur des treize titres du disque. Ainsi, à l’écoute de Ode To My Family, on comprend que l’heure n’est pas aux réjouissances : la chanteuse joue volontiers avec nos émotions pour mieux nous faire pénétrer dans l’univers à la fois triste et nostalgique des Cranberries. I Can’t Be With You et Twenty One sont autant de singles imparables, mais ce n’est rien comparé à Zombie, LE hit en puissance. Comme Sunday Bloody Sunday de U2 (vous n’échapperez pas à cette comparaison mille fois établie), Zombie décrit le conflit en Irlande du Nord, dont l’absurdité et la violence n’auront pas manqué de vous frapper si vous êtes un peu au courant des choses du monde. Le chant, mais aussi la basse grondante et la batterie tout à coup réveillée ne rendent ce titre que plus poignant.

Hélas, alors que je pensais attribuer la note maximale au nom du « super émotionnel waouh », le ventre mou de l’album vint me frapper de plein fouet. Eveything I Say, The Icicle Melts, Disappointment et Dreaming My Dreams sont les quatre cavaliers de l’Apocalypse, venus de l’au-delà pour me ravir mon enthousiasme. Sans être complètement mauvais, nos quatre poids morts ont le malheur de dévoiler les ficelles du groupe avec une triste évidence : quelques chœurs bien larmoyants, une mélodie tristounette et le chaland s’y laissera prendre. Les Cranberries n’échappent donc pas au piège périlleux que recèle tout album de pop-rock : la redite. Empty et Ridiculous Thoughts surnagent un peu par rapport aux titres précités mais paradoxalement, ils dévoilent encore plus les limites de No Need To Argue : les violons et le piano du premier franchissent la ligne rouge du lacrymal, tandis que Dolores O’Riordan en fait vraiment trop sur le second, qui avait pourtant bien commencé sur un petit rythme entraînant.

Heureusement, l’album se sort vite de ce mauvais pas et retrouve tout son lustre. Sur Yeat’s Grave d’abord, toujours placé sous le signe de la mélancolie, mais avec une intervention bienvenue de la guitare électrique. Daffodil Lament introduit quant à lui un thème plus celtique et brise un peu la structure couplet/refrain pour mon plus grand bonheur, avec un chouya de distorsion pour les gourmands. Le titre éponyme conclut habilement cet album avec un unique accompagnement au synthé, comme pour achever la mise en avant des performances vocales de la chanteuse. (SASKATCHEWAN – FP).







TRACKLIST :


A1. Ode To My Family
A2. I Can't Be With You
A3. Twenty One
A4. Zombie
A5. Empty
A6. Everything I Said
A7. The Icicle Melts

B1. Disappointment
B2. Ridiculous Thoughts
B3. Dreaming My Dreams
B4. Yeat's Grave
B5. Daffodil Lament
B6. No Need To Argue

The Cranberries - Everybody Else Is Doing It, So Why Can't We ?




The Cranberries ‎– Everybody Else Is Doing It, So Why Can't We?
Analog Spark ‎– AS00033 - Reissue, Remastered, Gatefold, 180 Gram – Edition U.S.A.



Non mais quel casse-tête ! Everybody Else Is Doing It, So Why Can’t We : qu’est-ce que c’est que ce titre d’album ? Ça grignote les marges, ça ponctue là où ça ne devrait pas et je ne vous parle même pas la tronche de l’abréviation. Si la France a son hexagone, si le galion se cache derrière sa voile, alors Everybody Else Is Doing It Everybody Else Is Doing It, So Why Can’t We (c’est la dernière fois, promis) sera « premier album », « gallon d’essai », « début prometteur », « la genèse » et que sais-je encore !

Rembobinons : The CRANBERRIES est un groupe Irlandais venu de Limerick*¹, formé en 1989 par les frères HOGAN (Noel et Mike), respectivement guitariste et bassiste du quatuor. Le reste de notre fine équipe est constitué de Dolores O’RIORDAN au chant et de Feargal LAWLER à la batterie. Dès le début, l’activité du groupe se cristallise autour de la chanteuse et du guitariste, compositeurs et paroliers de la grande majorité des morceaux des CRANBERRIES. La grande entreprise de diffusion de l’art et des idées peut alors commencer : une cassette sort, fait un flop, une autre cassette sort, fait un autre flop, mais un titre retient l’attention : « Linger », se propage, déclenche la valse des contrats et des signatures. Pourtant, il faut encore attendre 1993 pour que le premier album des CRANBERRIES voie le jour, avec toujours « Linger » en tête de gondole.

Comme son brillant successeur No Need To Argue, ce premier opus se pare d’une ambiance assez mélancolique en contradiction avec l’époque. Les arrangements sont sobres au possible : peu de claviers, batterie et basse en retrait, guitare à peine distordue, le tout saupoudré de quelques violons. Le chant de Dolorers O’RIORDAN est encore teinté de jeunesse : le timbre est clair, peut-être moins atypique que sur No Need To Argue. Les effets vocaux sont réduits au strict minimum, à l’opposé du style de chant adopté sur les albums suivants : plus libre, plus démonstratif aussi.

Bien sûr, comme beaucoup de groupes pop modernes, les CRANBERRIES cherchent la ritournelle immédiatement mémorisable : on peut citer « Linger », « I Still Do », « Not Sorry » et surtout « Dreams ». A vrai dire, le premier essai des quatre Irlandais propose douze titres du même calibre, pop avant tout, à l’exception de « How » qui développe un aspect plus rock. Il manque ici un ou deux titres qui sortiraient de la routine couplet/refrain, à l’image de « Daffodil Lament » sur No Need To Argue.

Everybody Else Is Doing It […] est un album simple, rafraîchissant quoiqu’un peu lassant sur la durée. Les CRANBERRIES y jettent les bases de leur musique : une pop mélancolique bien ficelée, efficace et accessible. Reste que sur leur second album, No Need To Argue, le groupe développera une plus grande variété d’émotions, avec à la clef un disque bien plus marquant. (SASKATCHEWAN – FP).







TRACKLIST :

A1. I Still Do
A2. Dreams
A3. Sunday
A4. Pretty
A5. Waltzing Back
A6. Not Sorry

B1. Linger
B2. Wanted
B3. Still Can't ...
B4. I Will Always
B5. How
B6. Put Me Down




lundi 2 avril 2018

Tangerine Dream - Stratosfear





Tangerine Dream ‎– Stratosfear
Polydor ‎– 2473 721 ‎– Edition France ‎– 1976



Plantons immédiatement le décor. Stratosfear est un album saisissant, au vrai sens du terme : il porte en lui, c'est-à-dire dans ses sonorités, une époque particulièrement riche - les années 70 - et un caractère qui en est inhérent - l'expérimentation. Par cet état de fait, l'opus, sorti en 1976, pourrait être devenu caduque compte tenu de son âge. Je vous rassure tout de suite, il n'en est rien. Oui, l'album "sent" à plein nez cette époque où naissent véritablement les synthétiseurs et où le psychédélisme, avec son cortège de drogues et d'onirisme, a envahi l'essentiel de la musique alternative. Mais il résiste au passage du temps, à l'image d'un PINK FLOYD, grâce à un talent unique qui lui permet de s'approprier un public aussi large qu'hétéroclite. La preuve en est son succès, Stratosfear étant à ce jour l'album le plus vendu de TANGERINE DREAM. A l'observation de cette remarque s'agite pourtant le spectre de l'aspect "commercial"... que je balaye d'un revers, reprenant mon exemple de PINK FLOYD : on peut réaliser de très bonnes ventes non pas parce que l'on met de l'eau dans sa musique, mais parce que l'on est irrésistible ! Et je pense personnellement que Stratosfear s'inscrit en droite ligne dans cette seconde catégorie. On retrouve à la barre de cette galette, et ce pour la dernière fois, la première équipe la plus marquante et influente du groupe - qui a connu de nombreux bouleversements de line-up jusqu'à aujourd'hui -, à savoir Edgar Froese, Christoph Franke et Peter Baumann. Le premier, fondateur et encore actuel leader du groupe, a "rythmé" l'album, tandis que le second, Christoph Franke, s'est penché sur sa partie mélodique. Le dernier, Peter Baumann a quant à lui parsemé le travail de ses deux acolytes de ses diverses idées et bruitages. Le tout, hanté et puissant de symbolisme, attire l'attention par ses longues pièces millimétrées et l'univers stellaire qui s'en dégage.



L'album en lui-même, composé de quatre titres, séduit au premier abord par un paradoxe, qui dégage deux de ses principales qualités : il est très court - à peine trente-cinq minutes - mais jouit d'une profondeur musicale immense, rendant éternelles ses possibilités d'écoute. En un minimum de temps, TANGERINE DREAM arrive donc à nous transporter au-delà des frontières terrestres, au sein d'un univers langoureux, sombre, souvent glacé et toujours pénétrant. Il faut dire que les quatre pièces de la galette se partagent de manière à peu près équitable la demi-heure d'écoute, ce qui leur laisse largement le temps de se déployer chacune dans leur thème respectif.



L'œuvre d'ouverture, éponyme, invite immédiatement au voyage : s'ouvrant sur un délicieux arpège de guitare électrique, elle bascule très vite - mais délicatement - sur un thème électronique au rythme répétitif. Celui-ci insuffle à la musique un caractère frénétique, cependant atténué durant les dix minutes du morceau par le lyrisme de mélancoliques notes synthétiques. Un véritable rêve où d'improbables astres semblent entrer en collision dans une douceur extatique. Le second morceau, « The Big Sleep in Search of Adhes », est le plus court de l'album avec ses quatre minutes standard. Ce qui ne l'empêche pas de transporter l'auditeur, qui pourra apprécier la virtuosité et la pertinence des instruments utilisés : un clavecin vaporeux et inspiré, une basse appuyée teintée d'obscurité, ainsi que les traditionnelles nappes de synthétiseurs, perforées au milieu du morceau par une ligne de clavier dissonante et un éphémère cortège de voix fantomatiques, elles aussi exécutées au piano électronique. L'atmosphère y est plus nuageuse que sur « Stratosfear », renvoyant à un imaginaire aérien cotonneux et bleuté.



"3 am At the Border of the Marsh From Okefenokee", troisième œuvre de Stratosfear, constitue peut-être la pièce la plus intrigante de l'album. Angoissante et névrosée, elle s'inspire d'un paysage de forêt et de tourbe visibles au sein des marais d'Okefenokee, vastes de 1600 kilomètres carrés et s'étendant sur les deux États nord-américains de Géorgie et de Floride. On peut imaginer à quel point cet espace, peuplé de marécages d'eau noire et d'arbres spectraux, a pu animer les trois allemands à l'heure tardive où ils l'ont visiblement arpenté. Dans ce morceau ambiant par définition, les instruments semblent vouloir recréer les sons nocturnes que l'on peut y entendre : en introduction, un clapotis de synthé métronimique pour l'eau vaseuse qui s'égoutte silencieusement, rattrapé par un air fuyant d'harmonica pour les cris des rares habitants du lieu. Le décor ainsi planté, aussi fourmillant que funeste, bascule soudain vers le churrigueresque au travers d'une nappe de brouillard paroxysmique, un brasier de synthétiseur qui pourrait rappeler un lever de soleil mais qui, à trois heures du matin, s'apparenterait plus à la découverte fantasmagorique d'une étendue marécageuse particulièrement obscure et désenchantée. Les notes qui se dégagent de cette vague assourdissante constituent sûrement l'un des thèmes les plus perforants de l'album, voir de toute l'œuvre de TANGERINE DREAM : mélange d'effroi et de tristesse, elles se diffusent aussi nettement que lourdement dans l'atmosphère oppressante du morceau et possèdent cette rare capacité de projeter à l'inconscient de véritables images, à la fois fortes et sensibles. Quatrième et dernier morceau de Stratosfear, "Invisible Limits" a l'avantage d'ouvrir l'album et non de le refermer, ce que sous-entend d'ailleurs son titre : plusieurs instruments font leur (ré)apparition, comme la guitare électrique, la batterie et le piano traditionnel, montrant à l'auditeur la diversité de registres de TANGERINE DREAM et, par là, l'inachèvement de sa quête musicale. Tout est dit par cette pléthore d'instruments, desquels TANGERINE DREAM sort les tripes avec fureur ou volupté durant tout le morceau.



Stratosfear apparait ainsi comme l'un des albums les plus aboutis du trio allemand, du moins jusqu'à Cyclone et l'apparition éphémère du chant - salvateur et d'une rare justesse, contrairement à ce que beaucoup pensent - dans leur musique. De la première à la dernière note, TANGERINE DREAM est comme d'habitude hanté par le désir précieux et précis de faire voyager son auditeur, au-delà du ciel et de la terre, dans un magma de sonorités toutes plus fines et gracieuses les unes que les autres. Leur musique se vit comme une odyssée, un voyage long et déstructurant aux confins de la musique électronique et alternative. On vibre au moindre bruissement des instruments (cette note de guitare électrique divinement saturée à 7m44s, sur "Stratosfear") on s'émerveille des ambiances souvent épiques tissées grâce aux synthétiseurs (le thème transpirant de solennité au milieu de "3 am At the Border of the Marsh From Okefenokee") et on frémit de curiosité à chaque changement de rythme (les trois constructions musicales distinctes mais parfaitement orchestrées d'"Invisible Limits"). Nul doute, la beauté triste a depuis 1976 un nom et un symbole : Stratosfear de TANGERINE DREAM.







TRACKLIST :

A1. Stratosfear
A2. The Big Sleep In Search Of Hades

B1. 3 AM At The Border Of The Marsh From Okefenokee
B2. Invisible Limits